samedi, novembre 18, 2006

"L'ESPRIT EUROPÉEN ET LE HAÏKU" PAR YVES BONNEFOY


Pendant le surf sur internet, j'ai découvert l'analyse très intéressante et incisive sur la différence de façon de regarder le monde entre l'est et l'ouest. C'est dans le discours d'acceptation du prix international Masaoka Shiki 2000 (Matsuyama, 17 septembre 1867 – Tokyo, 19 septembre 1902) par Yves Bonnefoy (Tours, 24 juin 1923 -). Vous pouvez trouver cet entier ci-dessous. Je suis heureux de recevoir vos commentaires sur son point de vue.

"LE HAÏKU, LA FORME BRÈVE ET LES POÈTES FRANÇAIS" (la version japonaise)


2006-11-18 イヴ・ボヌフォワ 「ヨーロッパ精神と俳句」 YVES BONNEFOY SUR LE HAÏKU

12 commentaires:

Anonyme a dit…

Ce discours était vraiment passionnant. Cela a contribué à enrichir ma réflexion sur le haiku. Je vous en remercie.J'ai pris du temps pour le lire attentivement et je vous livre mon commentaire à ce sujet. Quand j'en aurais le loisir, j'écrirais également un article sur le haiku en France...


[0] Le discours d’Ives Bonnefoy devrait peut-être être replacé dans son contexte (lauréat du prix Masaoka Shiki) et au regard du contenu de son œuvre personnelle (s’il semble proche de la forme dite « courte », Bonnefoy n’est pas un haikaiste). Pour ces raisons, son avis pourrait être orienté par son désir de ne pas heurter/affronter son auditoire et par son opinion personnelle.

[I] [1] Sa première observation est que le haïku a une place particulière en France depuis au moins 50 ans, période au cours de laquelle les poètes ont essayé d’en comprendre les éléments essentiels.

Ensuite suit une série de remarques cherchant à affirmer qu’une partie du sens des haïkus est refusée aux français (sous entendu : donc s’ils ne peuvent en comprendre l’essentiel, ils ne peuvent faire des haïku). Cette série de remarque n’est pas nouvelle… et ses arguments tiennent en fait seulement aux écueils de la traduction que l’on rencontre dans toutes les langues. Ainsi :
a) Les catégories de pensées et notions ne sont pas localisées de même façon dans le rapport entre le langage et le monde qui nous entoure.
b) Le rapport au signe : la différence entre une langue alphabétique et « idéogrammique » fait qu’il est possible de jouer avec cette dernière non seulement sur le sens du mot, mais également sur d’autres sens évoqués par le signe utilisé, ce que ne permet pas la langue alphabétique. C’est pourquoi on retrouve une réelle difficulté dans une traduction du chinois ou du japonais vers une langue européenne (voir à ce titre le fascinant texte de Corinne Atlan).

Toutes ces difficultés sont des problèmes de traductions générales, et n’empêchent pas à mon sens la compréhension de la substance poétique d’un haïku

[2] Dans ces remarques, il y a un point sur lequel je suis en désaccord profond : le fait de penser que la langue française est forcement analytique et la langue japonaise forcement impressionniste. Je crois que l’on est victime en partie de nos préjugés dans ce domaine. Quand il compare un poème de Keats ou Valéry à un poème de Bashô et pense nécessaire d’invoquer les longues strophes des 2 premiers pour avoir la même sensation poétique que le dernier, je me demande s’il n’existe pas un décalage de génération : les générations du zapping (de mon époque) sont elles plus à même de ressentir la beauté de l’instantané dans le phénomène poétique ?

[II] Le paragraphe II, beaucoup plus intéressant et auquel j’adhère, est l’influence de la forme brève sur la poésie européenne (sous entendue française) et le questionnement de la forme brève : selon Yves Bonnefoy, ce qui caractérise un texte bref est « une capacité accrue de s’ouvrir à une expérience poétique ». Un texte bref se doit de d’être à l’abri de la tentation de prendre du recul par rapport à l’impression immédiate (émotion, intuition, sentiment, perception). Il est ainsi plus naturellement qu’aucun autre en mesure de coïncider avec un instant vécu.
Cette idée semble oubliée de l’Occident de tradition chrétienne, qui séparerait l’absolu (la pensée conceptuelle) de la réalité naturelle, l’état du monde (l’instant immédiat, le vécu).

Or, si le poète se tourne vers la forme brève, c’est déjà un premier pas de la poésie dans le rapport au monde.

[III] Ce constat de l’influence chrétienne est selon Bonnefoy, la faible présence de la forme brève dans la poésie française plus centrée sur la valorisation d’une idée brillante (épigramme) ou rejetée car considérée comme mineure (Toulet). Un certain déclin de la pensée chrétienne avec le développement d’expériences poétiques s’attachant aux impressions ont créé un terrain favorable aux haïku C’est une explication très intéressante.

[IV] En guise de conclusion, l’auteur pense que le haïku a une influence importante dans la poésie française et qu’il faut non l’imiter (une voie sans issue pour lui) mais s’en inspirer :

Ainsi, il redonne l’argument de l’aspect visible des signes idéogrammiques non présents en français et de la forte influence bouddhique sur les haïku (pour laquelle il faut oublier son ego, impossible en France). Il donne à mon sens une importance trop importante aux caractères (leur choix n’est pas forcement déterminé par une richesse de sens à apporter en plus) et au bouddhisme.

Personnellement, je crois et d’autres auteurs avec moi, qu’il est possible de faire des haïkus en français si l’on en comprend l’essence. Le haïku est une forme de l’instant poétique, qui par ses caractéristiques est terriblement moderne et en phase avec notre époque. Aussi, les jeunes générations européennes sont peut-être plus à même de le comprendre et de le pratiquer.

La difficulté tient au fait que « haïku » est un mot galvaudé, parfois utilisé à tord et à travers par des gens qui croient en écrire sans forcement en comprendre le sens.

L’apprentissage du japonais, qui peut être considérée comme « faire ses humanités », est un plus pour aborder cette forme poétique neuve en occident

paul_ailleurs a dit…

Bonjour Christian,
Merci pour vos réflexions. Je reviens plus tard.

Anonyme a dit…

Si vous le permettez, je voudrais compléter ce propos en rapprochant le discours du texte d'Ekuni Shigeru (trouvé sur la page de dughal):

Le texte de Ekuni Shigeru:

Ekuni Shigeru explore comme d'autres avec lui la question existentielle que tous les haïkaistes modernes peuvent se poser un jour à propos des haïku occidentaux: sont ils des haïku ou non?

Il répond à cette question en distinguant les "HAIKU" (occidentaux)et les "俳句" (japonais). Sans leurs dénier des qualités intrinsèques en tant que formes brèves poétiques, les premiers ne sont pas des haïku en tant que tels, même s'ils font partie de la même famille (tel que des cousins éloignés).

S'il pense que les deux formes poétiques sont actuellement séparées, il ne croit pas, à l'instar de d'autres japonais [et sans doute d'occidentaux tel qu'Yves Bonnefoy] que ces derniers ne peuvent en comprendre les principes essentiels. Il concède que certains poètes créent des haïkus vraiment proche des haïkus japonais.

Le cœur du problème tient aux différences de conception de la définition d'un haïku : les dictionnaires étrangers définissent le haïku comme un poème classique japonais de 17 syllabes réparties en 3 vers de 5, 7, 5 pieds et dont le thème concerne souvent la nature ou une saison, sans en décrire le processus de pensée.

Le haïku est un poème ne concernant pas (souvent) la nature, mais incluant uniquement une référence à la nature, comme un moyen, un médium permettant à l'expression du poète d'exister.

Le contenu est le plus important, ensuite viennent les saisons puis enfin la forme. Ainsi, plus que l'aspect "mécanistique" du nombre du nombre de vers et de pieds, ce sont les processus de pensée (contenu et saison) qui font les haïkus.



=> En conclusion, lorsqu'il distingue les haïkus japonais et occidentaux et dénie à ces derniers la qualité de haïku, malgré la qualité poétique intrinsèque de ces formes brèves, il se rapproche d'Yves Bonnefoy. Par contre il semble penser que la compréhension de l'essence des haïku est à la portée des occidentaux. Je le crois aussi, mais à mon sens, si les haïku occidentaux existent déjà, il faut les chercher chez ceux qui en comprennent déjà l'essence. Il n'a pas dû en rencontrer beaucoup.

Je pense que son intuition sur l'origine de l'incompréhension occidentale des haïku est juste: elle tient à une appréhension surtout mécaniste du phénomène. Si le haïkaiste en herbe s'en tient à cela sans en comprendre l'esprit, il sera induit en erreur. Les auteurs occidentaux perdus en route sont-ils nombreux?

paul_ailleurs a dit…

Bonjour Christian,
Merci pour vos commentaires. Voici ma pensée sur les points que vous avez mentionné.

[I] (1) Le rapport au signe: Je pense qu'il y a définitivement la différence entre la langue alphabétique et idéogrammique. En fait, ce sur qui Yves Bonnefoy a dit était une révélation pour moi. En un sens, il a décrit en mots ce que j'ai pensé par rapport au décalage entre l'est et l'ouest. J'ai l'impression que les japonais n'ont pas en général le regard, l'opinion, ou la pensée critique et je suis toujours frustré. Comme Valéry écrit dans "La crise de l'esprit", l'Europe est la créatrice de la science et la science devait sortir de la pensée critique, et je dois dire, scientifique. Cette façon de penser nous les japonais beaucoup manque. Je trouve son explication convancante et dois être d'accord avec lui. Je ne sais pas si c'est pertinent ici, mais quand j'ai vecu aux Etats-Unis, surtout dès la 4e année, mon esprit est devenu indistinct comme si j'étais dans le brouillard ou je flottais dans l'air. C'étais une expérience un peu douloureuse. Je pense que ça peut être à cause de cette différence inhérente dans la langue japonaise et américane. Quant aux obstacles de la traduction, je pense que la transformation complète de la langue idéogrammique en celle d'alphabétique est impossible. Cependant, je crois aussi qu'il est possible de la tranduire de sorte qu'on puisse se sentir le sentiment original. Merci pour m'introduire Corinne Atlan.

(2) Le caractère de la langue française et japonaise: Je pense aussi que la langue française n'est pas forcément analytique et la langue japonaise forcément impressionniste. Mais, comme je l'ai indiqué ci-dessus, je vois souvent que les japonais n'utilisent pas cette langue d'une manière analytique. Je ne sais pas si c'est le problème de la langue ou pas, mais nous parlons parfois sans préciser le sujet ou l'objetif. Puisque notre société est longtemps fermée, notre langue est utilisée pour communiquer entre les membres de la même famille, en quelque sorte. On ne doit pas s'exprimer d'une façon analytique ou rigoureuse.

Je reviens plut tard aux points II -IV.

paul_ailleurs a dit…

[II] L'absolu de la réalité naturelle et l'état du monde: La description que ces deux se separent dans la pensée occidentale, surtout chrétienne, est révélatrice d'une différence entre l'est et l'ouest. En effet, il n'y a pas de l'absolu dans la culture ou pensée japonaise. Nous trouvons des dieux un peu partout dans la nature, nous (la plus part des japonais) ne croyons pas en une seule Dieu, donc tout est ambigu. Notre rapport envers la nature est harmonieux, nous traitons souvent des choses naturelles comme personnage. Je suis étonné de trouver beaucoup de statues bouddhistes ou de petits sanctuaires même dans la grande ville. Ça signifie la sensibilité envers les dieux ou la nature que nos ancêtres avaient. En revanche, cette tendance peut indiquer que nous sommes faible de la pensée scientifique ou abstraite.

Il me semble que faire du haiku est de saisir le moment vecu en mots, comme prendre la photo.

[III] Le rapport entre le déclin de la pensée chrétienne et l'expérience poétique: Je trouve aussi cette proposition très intéressante. Je ne sais pas la situation actuelle de la réligion en France, mais je pense que le déclin de la tradition ou la pensée traditionnelle est observé partout dans le monde. Personnellement, je regrette cette tendance, et en même temps si ça conduit les français à la forme brève, je suis heureux.

C'est tout ce que je voudrais dire pour le moment. Je vous remercie pour vos commentaires, ou plutôt un article, qui m'a invité à beaucoup de réflexions.

paul_ailleurs a dit…

Bonjour Christian,
Un peu de mots pour les haïku occidentaux. Je fais des haïku de temps en temps à la fois en japonais et en français. Quand j'essaie d'en faire en japonais, je pense presque toujours de la forme, 5-7-5 syllables, même si je ne la suis toujours pas. Mais en français, je ne dois pas le faire. Je me sens parfois être différent de moi faisant des haïku en japonais. C'est une expérience très chère pour moi. Donc je ne suis pas si strict que Shigeru Ekuni. Je pense qu'on doit accepter les haïku occidentaux même si la forme est différente.

Anonyme a dit…

Bonsoir et encore tous mes voeux,

Je suis désolé de réactiver un ancien message, mais les vacances d'hiver ont été l'occasion de continuer mes réflexions sur la poésie et d'écrire un article sur ce sujet sur mon blog. Si vous avez un peu de temps, je serais heureux de recevoir vos commentaires concernant mon article (observations et remarques, opinions, etc...).

Je suis d'accord avec vous sur la différence entre la langue alphabétique et idéogrammique (avec toujours la même restriction concernant la traduction).

Je serais très intéressé d'en savoir plus sur votre expérience américaine.

J'ai commencé à écrire de la poésie à la fin du collège et je fus naturellement influencé par les "classques" français tel que Baudelaire, Verlaine, Appolinaire... Mes poèmes, d'une certaine longueur, étaient certainement influencés par la forme de l'alexandrain.

Dernièrement, je me suis rendu compte qu'avec les années, la longueur de mes textes avait diminuée: bien avant de connaitre les haïku, je privilégiais instinctivement la forme courte.

Cela n'est que bien après avoir commencé l'apprentissage du japonais que je me suis penché sur les haïku (un choc, à l'instar des quatrains arabes).

S'il m'est plus facile d'en faire en français qu'en japonais, je pense que la langue japonaise est particulièrement adaptée à cet exercice (bien plus que le français: voir à ce sujet l'introduction à l'article de Mabesoone dans le n°15 de mushimegane: http://www1.big.or.jp/%7Eloupe/mu15/mabesoone.shtml)

paul_ailleurs a dit…

Bonjour Christian,
Merci pour vos commentaires. Je reviendrai bientôt.

paul_ailleurs a dit…

Bonjour Christian,
Je suis désolé de ne pas avoir repondu plus tôt. J'étais très occupé et psychologiquement en dehors du hamac de Tokyo. Maintenant un peu mieux, heureusement.

Tout d'abord, félicitations pour votre article sur les haïku ! J'ai appris beaucoup de choses. Et je vous remercie d'avoir cité mon article. Dans votre article, j'ai trouvé une remarque intéressante: c'est que la tradition chrétienne sépare l'absolu (la pensée conceptuelle) de la réalité naturelle, ce qui constitue un frein au développement de la forme brève. Je pense que c'est la difference majeure entre l'est et l'ouest dans la perception du monde.

Vous avez noté qu'avec les années, vous privilégiez la forme courte. Je me sens la même chose. L'un des raisons peut être le fait qu'on a plus du temps libre et du temps de réfléchir.

J'ai lu la phrase comme suivante: à partir du moment où vous notez le changement de la saison, vous devenez haïkiste. Je me suis aperçu que j'ai commencé à remarquer cela.

paul_ailleurs a dit…

Bonjour Christian,
A propos de mon expérience américanine, c'est impossible de la résumer précisément maintenant. A l'origine de mon séjour, j'ai profité de ma position de voyager. Cependant, après quelques années, j'ai commencé à me sentir noyé dans l'océan de la langue abstraite. C'était difficile à me repérer dans le monde actuel. C'était comme si je ne savais pas où j'étais psychologiquelement et donc socialement. Le divertissement, mentionné par Pascal, a joué un rôle important pour éviter la crise.

Anonyme a dit…

Merci beaucoup à paul_ailleurs et Christian pour ces réflexions très intéressantes. Merci aussi pour la simplicité et la modestie avec laquelle vous parlez de haïkus, c'est un vrai plaisir.
A très bientôt sans doute, pour me joindre à votre discussion :-)

paul_ailleurs a dit…

Bonjour HK,
Merci pour votre visite. J'attends vos réflexions avec impatience.